Jean Henry Touchet , voisin de Jean Baptiste Santier va être auditionné par la Cour
d’Appel de Rennes le 7 mars 1890.
Il va déclarer : « J'occupe la même rangée de maisons dont faisait partie la maison Sentier. En
quittant la route de Saint Enogat à Saint Briac, la première maison est celle qu'occupait Sentier;
elle se composait d'un rez-de-chaussée ne comprenant qu'une seule pièce avec grenier au-dessus. A
la suite, se trouve la maison des époux Clolus composée également d'une seule pièce au rez de
chaussée, chambre au-dessus et grenier sur le tout; enfin mon habitation qui comprend cinq
pièces au rez de chaussée, huit au premier étage et trois au grenier.
De l’autre côté de la rangée et séparée par un déport de 4 mètres environ de largeur, se trouve en
face la maison Sentier, une étable et une écurie, une buanderie et un poulailler.
Les maisons de la première rangée sont couvertes en ardoises, à l'exception de l'étable et de
l'écurie de Sentier qui sont en chaume.
Vers minuit le 28 février, nous avons entendu la femme Clolus qui criait : " nous allons tous brûler,
Sentier a mis le feu chez lui. "
Je me suis levé précipitamment et ai couru à la maison de Sentier. Ne sachant pas si la porte était
ouverte, j'ai cassé un carreau et j'ai vu que l'intérieur de la maison était en flammes. On aurait dit
le feu dans un four. J'ai appelé à plusieurs reprises Sentier, pensant que dans son ivresse il avait pu
mettre le feu involontairement mais personne ne m'a répondu. J'ai pu m'assurer, malgré
l'intensité des flammes, qu'il n'était pas dans son lit. Il n'y avait rien à faire, on ne pouvait sauver
aucune partie du mobilier, ni même pénétrer dans la maison qui était complètement embrasée.
Nous avons dû nous borner à empêcher le feu de gagner les bâtiments voisins. Il a cependant pris
dans deux mais nous avons été heureux de pouvoir nous en rendre maîtres.
Les vents du nord-est soufflaient en tempête et les flammes étaient projetées avec violence sur les
deux rangées de maisons qui étaient situées au sud-ouest de la maison qui brûlait. Tous les greniers
étaient pleins de paille, de fourrages et de bois. Je crois que c'est à la violence même du vent que
nous devons de n'avoir pas été victimes de ce sinistre.
Sentier est la terreur du pays. Il est brutal, ivrogne et vindicatif. Continuellement, il maltraitait sa
femme et sa fille. Je l'ai vu bien des fois frapper, à coups de pieds et à coup de poings, sa femme.
Celle-ci se sauvait et il la poursuivait avec des pierres, avec des bâtons et même avec une faucille.
Tous les quinze jours, il mettait ces deux femmes à la porte et les envoyait coucher où elles
pouvaient. Je lui ai entendu dire que s'il connaissait les personnes qui leur donnaient asile, il irait
mettre le feu chez elles. Aussi, personne n'osait plus les recevoir depuis quelque temps. Cependant,
je ne croyais pas qu'il aurait mis le feu chez lui mais je pensais qu'un malheur serait certainement
arrivé et que dans un moment de colère il aurait tué sa femme ou sa fille.
Je n'ai jamais vu la femme Sentier dérangée par la boisson. Je sais que son mari l'accusait de boire
; il lui reprochait en outre de détourner de la maison du beurre ou de la farine, et il paraît qu'elle
l'a fait quelquefois, mais on disait que c'était pour se procurer les quelques sous qui lui étaient
nécessaires pour faire blanchir ses coiffes, s'acheter des sabots ou payer sa chaise à l'église.
Quand Sentier injuriait sa femme, il la traitait des mots les plus grossiers et lui disait : " va-t’en
donc avec telle et telle personne" en citant les noms des personnes les plus honorables du pays.
Personne ne relevait ces propres noms, tant ils paraissaient absurdes et aussi à cause de l'effroi
qu'inspirait Sentier.
Trois autres témoins, voisins de Jean Baptiste Santier vont être auditionnés par la Cour
d’Appel de Rennes le 7 mars 1890. (Françoise Olivier, Eugène Poulain et Eugène Larade)
Françoise Olivier va notamment déclarer : « Sentier est un coquin. Jamais nous ne lui parlions
parce que nous avions tous peur de lui. Continuellement, il agonisait sa femme et sa fille de
sottises, les menaçait, les frappait et les mettait à la porte de chez lui. Nous n’osions pas les
recevoir chez nous parce que Sentier criait tout haut qu’il foutrait le feu chez ceux qui leur
donneraient asile et nous le savions capable de mettre ses menaces à exécution. C’était un brutal
(on parle déjà de lui au passé) paresseux et ivrogne. Sa belle-mère a été obligée de quitter la
maison pour fuir ses mauvais traitements.
La femme de Sentier et sa fille étaient très laborieuses. Jamais je n’ai vu la femme dérangée par la
boisson. Tout le monde considérait ces deux femmes comme des martyres.
Le maire de Saint Lunaire aura aussi une importance en chargeant bien Jean Baptiste
Santier dans une lettre écrite le 16 mars 1890 au Juge d’Instruction.
En réponse à la demande de renseignements que vous m'avez demandé sur Jean Baptiste Santier
accusé d'incendie volontaire, j'ai l'honneur de vous faire connaître que cet individu a toujours passé
dans la commune pour un homme brutal et méchant pour les siens, imposant sa volonté à sa
femme sans admettre la moindre réplique et ayant recours aux violences si elle refusait de se
soumettre.
Plusieurs fois, la femme Santier est venue me trouver pour se plaindre des mauvais traitements de
son mari. Une fois notamment, elle vint me trouver à neuf heures du soir, à peine vêtue, me
disant que son mari l'avait jetée à la porte en la traînant par les cheveux. Santier buvait beaucoup
et quand il avait bu outre mesure, il devenait furieux. C'est à tel point, qu'il y a environ deux ans,
il perdit presque la raison.
Si Santier avait eu une bonne conduite, il se serait trouvé en très bonne aisance. Il était logé dans
une maison appartenant à sa femme et à sa belle-mère et louait des terres avec différents
propriétaires pour une somme de six cents francs environ.
Il payait très bien ses fermages car, à jeun, il travaillait et cultivait très bien. Il était d'ailleurs très
fortement secondé par sa femme et sa fille qui sont d'excellentes travailleuses.
Depuis quelques temps, sa femme passe pour boire quelquefois mais je dois déclarer qu'aucune des
personnes à qui j'ai demandé des renseignements, à cet égard, n'a pu me dire l'avoir vue ivre ou
même excitée par la boisson. Il faut donc, à mon avis, accueillir ce bruit avec beaucoup de réserves
et se demander si ça n'est pas Santier lui-même qui l’a répandu pour se décharger d'une partie de
ses torts. J'ajouterais cependant que je crois la femme Santier d'une humeur difficile. Santier
tenait les cordons de la bourse d'une façon excessivement serrée, ne laissant pas un centime à sa
femme, vendant lui-même tous les produits et denrées. J'ai appris qu'une fois, il y a deux ans
environ, la femme Santier avait vendu au boulanger Allano, 75 kilos de farine et qu'elle s'était fait
remettre 5 francs pour aller à la foire de Ploubalay. Le mari l'apprit, fit une scène à sa femme de
façon à ce qu’elle rende l'argent.
J'ai dans maintes occasions et notamment la veille de son crime, adressé des observations à
Santier sur sa conduite. Toujours, il me répondait que les torts étaient du côté de sa femme.
Cette fois, il me déclara qu'elle voulait le dépouiller au profit de son futur gendre mais
qu'il n'y consentirait jamais et qu'il saurait bien se défendre. Je l'engageais à la conciliation et à
laisser rentrer sa femme. Il me le promis presque. Vous savez le reste.
Tels sont, Monsieur le Juge d'Instruction, les renseignements que je peux vous fournir au sujet
de Santier.
Le 23 avril 1890, Jean Baptiste Santier va faire son premier voyage entre Saint Malo et
Rennes sur le train numéro 22.Il sera sans retour.
Le 10 juin 1890, la Cour d’Appel de Rennes rend son jugement.
Les jurés, après en avoir délibéré, condamnent Jean Baptiste Santier à huit ans de travaux
forcés sans interdiction de séjour, les circonstances atténuantes lui étant accordées.
Mes recherches aux archives d’Aix en Provence me donneront son départ pour la Nouvelle
Calédonie le 4 mars 1891 sur le « Calédonie ». Il porte le matricule 18689.
Jean Baptiste Santier décèdera à l’Ile Nou le 1er mai 1897.
Sa famille a dû être soulagée quand il a été condamné au bagne et il n’a sans doute pas envoyé
cette carte postale de Nouméa.
Suite des interrogatoires
Si vous souhaitez en savoir
plus sur le bagne, cliquez sur l’image
La croix du Tertre
à Saint Lunaire