En réalisant ma généalogie, j’étais loin d’imaginer que je mettrai à jour un secret de famille. Ma curiosité avait d’abord été éveillée par l’acte de décès du grand-père de ma grand-mère paternelle, Jean Baptiste Santier (sosa 22) : cet acte de décès enregistré à l’Ile Nou en Nouvelle Calédonie le 1er mai 1897 avait été retranscrit à la mairie de St Lunaire le 6 mars 1898. Les témoins étaient des surveillants militaires. Comment un laboureur avait-il pu mourir si loin de son pays ? Je découvrais également que lors du mariage de sa fille, Marie Reine Santier avec Joseph Durand, il était absent mais consentant au mariage par un acte notarié signé à Saint Malo le 21 mars 1890. Je trouvais ensuite facilement,  sur internet, que L’Ile Nou était un bagne. Il me restait ensuite, par des recherches sur place aux archives départementales de l’Ille et Vilaine, à savoir ce qu’avait pu faire cet ancêtre pour mériter un tel châtiment. J’avoue mon appréhension avant de découvrir ce qu’il avait bien pu commettre ; avait-il tué, violé ... ? Je fus presque soulagé de constater qu’il avait  tout simplement incendié sa propre maison. Cet ancêtre fut rayé de la mémoire familiale, ma grand-mère, ses sœurs, mon père et ma tante  en auraient parlé. Marie Reine Santier et son mari Joseph Durand ont gardé ce secret toute leur vie. Jean Baptiste Santier était donc un homme violent, alcoolique. Mais n’était-il pas lui-même une victime, en prise à ses propres démons.  Illettré, son enfance et sa vie avaient sans doute été très dures. Impossible de retrouver le plaidoyer de l’avocat de la défense, évidemment. Je propose donc de vous relater les faits avec les principaux témoignages de cette affaire. Retraçons tout d’abord sa vie Jean-Baptiste Julien SANTIER voit le jour le vendredi 30 novembre 1832 à Corseul (Côtes d’Armor) au lieu-dit de La Hestrinuil. Il est le fils légitime de Julien Gilles SANTIER, laboureur, âgé de 32 ans et de Jeanne Marie Servanne LEMOINE, âgée de 29 ans. A sa naissance, il a pour frère et sœur : Perrine Françoise (née en 1825) et Marie Joseph (né en 1828). Jean-Baptiste sera Laboureur. Sa mère Jeanne meurt le 21 septembre 1842, Jean-Baptiste est âgé de 9 ans. Son père Julien meurt le 1 février 1862, Jean-Baptiste est âgé de 29 ans. Il s'unit avec Marie Louise AVRIL le lundi 28 mars 1864 à Saint-Lunaire (Ille et Vilaine), la fille légitime de Jacques François AVRIL et de Jeanne Françoise ROUSSEL. Ils auront  trois enfants : - Marie Reine Julie née en 1865. - Jean Baptiste né en 1868 qui va mourir à un mois. - Marie Ange Léon né en 1871 qui va périr en mer, la même année que sa condamnation en mai 1890.
Jean Baptiste Santier, l’incendiaire de Saint Lunaire qui va mourir au soleil mais loin des siens
                               L’affaire Santier Jean Baptiste Santier, un soir où il avait bu plus que de raison, le 25 février 1890, va commettre l’irréparable qui l’amènera à sa perte. C’est un dénommé Marzin, voiturier à Saint Lunaire qui donnera l’alerte aux gendarmes en expliquant que le feu était au village du Tertre en Saint Lunaire. Les gendarmes, revêtus de leur uniforme et conformément aux ordres de leurs chefs, se mettent en route en toute hâte.  Sur les lieux du sinistre, ils vont constater qu’une maison, composée d’un rez- de-chaussée, d’un grenier et couverte en ardoises, mesurant 7mètres 40 de long sur 7 mètres 30 de large (quelle précision) , était la proie des flammes. Les pompiers de Dinard déjà sur place avaient, avec l’aide des personnes présentes, arrosé les décombres ainsi que les maisons voisines pour les préserver et à 3 heures et demi tout danger était écarté, mais il ne restait plus que les murs de la maison de Jean Baptiste Santier. Ils interrogent alors les personnes présentes : - François Clolus, un marin âgé de 44 ans qui demeure au Tertre, déclare : « cette nuit j’ai été réveillé vers minuit par la fumée qui abondait dans notre maison, je me suis levé et ai constaté que le feu était dans la maison du voisin Sentier, le rez-de-chaussée était tout en feu, j’ai appelé les voisins qui m’ont aidé à sortir mes meubles et à jeter de l’eau sur les maisons voisines pour les préserver. Je crois que c’est le dénommé Sentier [dans les différents rapports l’ orthographe du nom varie] qui est en instance de séparation avec sa femme qui a mis le feu chez lui méchamment. » - Françoise Olivier, l’épouse de François Clolus,  confirme la déclaration de son mari et ajoute avoir remarqué que le dénommé Sentier, son voisin,  était complètement ivre la veille au soir. - Jean Touchet, capitaine marin qui est voisin de la maison incendiée, va quant à lui dire : « J’ai été réveillé vers minuit par le dénommé Clolus qui criait au feu, je me suis levé et ai constaté que le feu était dans la maison du dénommé Sentier. Je crois que c’est lui qui a mis le feu chez lui attendu qu’on ne l’a pas vu sur les lieux pendant l’incendie et qu’il était ivre hier soir, sa femme et sa fille couchent,  depuis une dizaine de jours, au village de la Fosse en Saint Briac. » - Auguste Poulain, âgé de  35 ans, entrepreneur au bourg de St Lunaire, témoigne : « hier soir, vers onze heures moins 20 minutes me trouvant au bourg en compagnie de Mr Larade, j’ai aperçu le feu dans deux tas de bourrées, près du village du Tertre, nous nous sommes rendus sur les lieux où nous avons constaté qu’il ne restait plus que de la braise de ces deux tas de bois. A ce moment, nous avons aperçu un autre incendie dans le village du Tertre où nous nous sommes transportés et sommes arrivés sur les lieux en même temps que les voisins et avons constaté que le rez-de-chaussée de la maison Sentier était tout en feu. » - Eugène Larade, un rentier de 28 ans, va confirmer les déclarations d’ Auguste Poulain. Ne voyant pas le suspect sur les lieux de l’incendie à 5 heures et demi du matin, les gendarmes se rendent au village de la Fosse en St Briac où habitent depuis une dizaine de jours la femme et la fille de Jean Baptiste Santier.  Après leur avoir donné connaissance des incendies, elles se rendent sur les lieux du sinistre. Marie Avril, la femme de Jean Baptiste va déclarer : « J’ai vu mon mari hier soir vers 7 heures, il était dans un état complet d’ivresse et c’est lui qui doit avoir mis le feu dans notre maison ainsi que dans les 2 tas de bourrées qui ont été brûlés et qui nous appartenaient. Les pertes que j’éprouve sont les suivantes : une maison d’habitation de 3000 francs, meubles, linges, effets et grains, 1500 francs, 300 bourrées d’ajoncs, 2 francs … Je suis en instance de séparation avec mon mari qui me mène la vie très dure ainsi qu’à ma fille depuis plusieurs années.» Marie Santier, sa fille va confirmer la déclaration de sa mère et ajouter que son père le 14 février, l’a menacée de son couteau en disant : «  je n’ai que d’une mort à mourir, j’ai un projet en tête que personne ne connaît. » Elle déclare ne pas savoir où est son père, qu’il s’est peut-être pendu ou noyé.  Elle indique ensuite qu’ils sont assurés à la compagnie l’Union pour 6000 francs. Les gendarmes constatent que les deux tas de bourrées d’ajoncs brûlés étaient dans le champ dit « Beaumont » à 300 mètres environ de la maison incendiée et à environ 80 mètres l’un de l’autre. Ils continuent de rechercher Jean Baptiste Santier soupçonné auteur des incendies. Le gendarme Jeanne part prévenir l’arrondissement et à 2 heures et demi du soir le parquet de Saint Malo étant descendu sur les lieux du sinistre va, après constatation, décerner un mandat d’arrêt. Munis de ce mandat, les gendarmes Droguet et Renaud se remettent à la recherche de l’inculpé et finissent par le trouver à 6 heures un quart du soir au lieu de la Fosse aux Vaux, dans des ajoncs, sur le bord de la grève en St Lunaire. Ils l’interpellent et en présence de Mr Cotillard, garde champêtre de Saint Lunaire, et de Jean Touchet. Jean Baptiste Santier va reconnaître être l’auteur volontaire des trois incendies et cela pour se venger de sa femme et de sa fille dans le but de leur nuire. Il est donc arrêté et conduit à la maison d’arrêt de Saint Malo. Ils le fouillent et saisissent sur lui  un couteau et un porte-monnaie contenant 14 centimes. Jean Baptiste Santier va être incarcéré à la prison d’arrêt de Saint Malo. Voici son 1er interrogatoire le 1er mars 1890 au tribunal de Saint Malo : Après avoir décliné ses noms, prénoms, âge et profession : Question : Reconnaissez-vous avoir, dans la soirée du 25 février dernier, volontairement mis le feu à une maison servant à l'habitation, située au village du Tertre, en la commune de Saint Lunaire ? Réponse : Je le reconnais Question : Dans quelles circonstances avez-vous allumé cet incendie ? Réponse : Vers 10 heures et demi du soir, je reconnais avoir mis le feu dans des fascines d'ajoncs qui étaient déposées dans le foyer de la cheminée et auprès du lit de droite de la maison. Question : Lorsque vous avez quitté votre maison, le feu avait-il déjà gagné le lit ? Réponse : Je ne suis pas resté là; dès que le feu a été mis, j'ai fermé la porte et je suis parti. Question : N'avez- vous pas le même jour et en la même commune, volontairement mis le feu à deux tas de fascines d'ajoncs contenant chacun environ 150 fagots et situés à 300 ou 350 mètres environ de votre maison ? Réponse : Je le reconnais; j'avais mis le feu dans les tas de fagots avant de le mettre dans la maison. Question : Qu’êtes-vous devenu et qu'avez-vous fait après avoir allumé ces trois incendies? Réponse : Je suis resté dans le haut du champ à 20 mètres environ de ma maison. Question : Personne ne vous a vu sur le lieu du sinistre. Pourquoi n'avez-vous pas aidé les travailleurs qui cherchaient à éteindre le feu ? Réponse : Parce que je voulais laisser tout brûler. Question : Quel était votre but en mettant le feu ? Réponse : Parce que j'étais en colère contre ma femme et ma fille qui avaient quitté la maison pour aller se réfugier, je ne sais où. J'avais voulu empêcher ma femme de s'en aller le soir du 25 février et comme je n'avais pu la retenir, je lui avais dit au moment de son départ: " demain tu trouveras toutes les portes ouvertes, je vous foutrai le feu dans la maison". Question : Votre femme n'avait-elle pas intenté une demande de séparation de corps contre vous ? Réponse : Ma femme était venue deux fois au tribunal pour demander sa séparation, elle avait été autorisée par le tribunal à quitter le domicile conjugal mais moi j'avais refusé de me présenter à Saint Malo. Question : Le 25 février, n'étiez-vous pas en état d'ivresse ? Réponse : Non, moi je n'étais pas ivre, c'était ma femme qui l'était. Question : N'aviez-vous pas menacé votre fille de la frapper avec votre couteau ? Réponse : Non, jamais je n'ai fait de menaces à mes enfants et jamais je ne les ai battus. Question : A qui appartenait la maison dans laquelle vous avez mis le feu ? Réponse : Ma femme avait hérité de son père de la moitié de la maison. L'autre moitié est un acquis de communauté fait à l'aide d'un emprunt contracté chez Maître Lhotellier, notaire à Dinan, qui nous a servi à payer la part de ma belle-mère et les réparations nécessaires à la maison. Question : A qui appartenait les fagots que vous avez brûlés? Réponse : A moi, je les avais achetés et payés. Question : Votre maison était-elle assurée ? Réponse : Oui, à la compagnie l'Union, tout ce que je possédais, meubles, immeubles, instruments aratoires étaient assurés pour la somme de 1200 francs. J'avais contracté cette assurance au mois de juin 1887. Question : A combien évaluez-vous les pertes occasionnées par l'incendie ? Réponse : Je n'ai pas fait l'évaluation. Il y avait un mobilier important mais j'ignore quelle en était la valeur. Question : Où êtes-vous allé lorsque l'incendie a été éteint ? Réponse : Je suis allé me coucher dans une jannaie  et j'y suis resté jusqu'au moment où j'ai été arrêté. Question : Avez-vous quelque chose à ajouter pour votre défense ? Réponse : Je reproche à ma femme de faire des dépenses exagérées pour acheter de la boisson et de vendre ce qu'elle peut trouver à la maison pour se procurer de l'argent. C'est ce qui m'a poussé à mettre le feu. Question : Donniez-vous à votre femme l'argent nécessaire pour les besoins du ménage ? Réponse : Ma femme trouvait chez nous tout ce qui était nécessaire. Lecture faite, l'inculpé a persisté dans ses réponses et a dit ne savoir signer. Marie Louise Avril , épouse de Jean Baptiste Santier va être auditionnée par la Cour d’Appel de Rennes le 7 mars 1890. Elle va déclarer : « Je suis mariée avec Jean Santier depuis 26 ans; il a toujours été brutal et j'ai eu constamment à me plaindre de ses mauvais traitements; j'avais toujours patienté mais depuis quatre à cinq ans, il ne faisait plus rien et  journellement, il a exercé contre moi des violences, - il ne maltraitait pas ses enfants  mais il a menacé bien des fois sa fille de la tuer, disant qu'elle ne périrait que de sa main. le 12 février dernier, à propos d'une somme d'argent qui m'avait été envoyée par mon fils,  que mon mari ne trouvait pas suffisante, celui-ci nous fit une scène épouvantable  et finit par nous mettre, ma fille et moi, à la porte de la maison où il s'enferma, refusant de nous ouvrir et nous disant d'aller coucher où nous voudrions. Je me suis rendue avec ma fille chez ma mère, à Saint Briac. Je me suis présentée le lendemain chez mon mari mais il n’a pas voulu me laisser pénétrer dans la maison, menaçant de me jeter son sabot à la tête. Je suis retournée chez ma mère et me suis décidée  à intenter contre mon mari une demande de séparation de corps. Aucun acte de procédure n'a encore été fait, je dois seulement comparaître devant le bureau d'assistance judiciaire mercredi prochain. Le 24 février, mon mari vint me trouver dans le champ où j'étais en journée et me dit que le domestique qu'il avait gagé était parti et que si je ne venais pas soigner nos bestiaux,  il les laisserait mourir de faim. J'allais à deux reprises différentes dans la journée, leur donner les soins nécessaires. Le 25, je retournais soigner mes bêtes. Mon mari ne me dit rien, me laissa traire la vache, faire le repas et cuire les pommes de terre. Vers une heure, il partit avec une bouteille et ne rentra qu'à six heures moins le quart. Je lui demandais ce qu'il avait fait de sa bouteille; il ne me répondit  rien mais me montra sa blouse dont le devant était tout mouillé. Je pensais qu'il était tombé et que dans sa chute sa bouteille s'était cassée. A ce moment il était complètement ivre. Il me demanda si j'allais rester coucher à la maison, je lui répondis que j'allais m'en aller parce que j'avais entrepris un travail de tricot que je voulais terminer. Je lui dis que je reviendrai  le lendemain matin et il ne s'opposa pas à mon départ. Je quittais la maison à 7 heures moins le quart, après avoir fermé les portes des étables et en avoir déposé les clefs sur la table de la maison. Jamais mon mari ne m'avait parlé de mettre le feu chez nous et lorsque les gendarmes vinrent me prévenir le lendemain matin, à Saint Briac, chez ma mère, j'étais loin de penser au feu. J'avais souvent entendu dire mon mari qu'il avait un projet qu'il mettrait à exécution avant de mourir, mais jamais il ne s'était expliqué davantage. Lorsque mon père est mort en septembre 1879, nous avons continué à habiter avec ma mère dans la maison dépendant de la communauté. Ma mère avait sa moitié de la maison et moi, la mienne, comme unique héritière de mon père. Nos deux mobiliers étaient réunis dans la même maison. La vie commune ne put continuer longtemps. Mon mari ne pouvait souffrir ma mère qu'il ne cessait de maltraiter et même de battre. Il fut même condamné à un mois de prison pour sévices envers ma mère. Celle-ci se décida à aller vivre à Saint Briac et partit, laissant chez nous tout ce qu'elle possédait, c'est à dire son mobilier et une vache. De mon côté je devais lui payer une rente annuelle et viagère de 50 francs, les impositions et l'assurance restant à ma charge. Mon mari n'a jamais payé la rente et depuis son départ, ma mère n'a rien de nous que 20 francs. Les fagots d'ajonc qu'il a brûlés le 28 février appartenaient à la communauté. Ils avaient été payés avec l'argent de la communauté pour 20 francs. Nous étions assurés à la compagnie l'Union et l'agent de la compagnie a estimé les pertes que nous éprouvions à 2000 francs pour la maison et à 1500 francs pour le mobilier. » Marie Santier, fille de Jean Baptiste Santier va être auditionnée par la Cour d’Appel de Rennes le 7 mars 1890. Elle va déclarer : « Je ne peux fournir aucun renseignement sur les incendies qui ont détruit la maison de ma mère, son mobilier et les deux tas de fagots déposés sur le Tertre. J'avais été obligée de quitter le domicile de mon père en même temps que ma mère depuis treize jours pour fuir les violences et les menaces. Mon père ne m'a jamais battue parce que je parvenais toujours à me sauver quand je le voyais en colère mais souvent il m'a menacée de son couteau, me disant que je ne périrai que de sa main. “Mon père était très violent, surtout quand il avait bu et depuis plusieurs années il ne cessait de s'enivrer. Je l'ai vu plusieurs fois frapper ma mère à coup de poings et à coup de pieds. Mon père ne dit pas la vérité quand il dit que ma mère buvait autant que lui. Une seule fois, j'ai cru m'apercevoir qu'elle semblait un peu dérangée par la boisson mais c'était très peu visible. “