Témoignages des cabaretiers Le 4 septembre 1821 Honoré Philippe, 65 ans, aubergiste, demeurant aux Lions commune de Pleurtuit, dépose que le 2 juillet dernier, Esnoux et Lagneau entrèrent chez lui entre 11 heures et midi.  Ils y burent ensemble plusieurs pintes de cidre et il s'éleva entre eux une discussion sur les dépenses qu'ils avaient faites. Esnoux reprocha à Lagneau qu'il avait payé plus que lui, sur quoi Lagneau répondit qu'il avait payé autant que lui. Esnoux répliqua alors que s'il ne payait pas une pinte ou un pot, il allait le mettre à la porte et déposa  6 francs en pariant qu'il allait le mettre dehors. Indépendamment de leurs contestations, ils burent encore ensemble en payant chacun leur tour et ils sortirent vers les 5 ou 6 heures du soir de chez lui, paraissant de bon accord.  Jeanne Levêque, femme d' Honoré Philippe, dernière déposante interrogée, aubergiste aux Lions commune de Pleurtuit, 53 ans, dépose que le 2 juillet, jour du marché de Ploubalay, Esnoux et Lagneau entrèrent dans leur cabaret vers 10 heures du matin et burent environ 3 pots de cidre qu'ils payèrent. Dans le courant de l'après-midi, le nommé Fayet entra, demanda une chopine et but ensuite avec eux un pot de cidre qu'il paya. Lagneau voulut se retirer mais Esnoux lui dit "tu bois notre cidre et tu ne paies pas" Esnoux poussa  Lagneau et Fayet les départagea. Lagneau se retira alors sans repayer. Esnoux lui dit encore "tu n'as pas payé", Lagneau répondit : "J’ai payé autant que toi mais si tu veux encore boire une bouteille, je vais payer". Ils sortirent tous trois ensemble, paraissant de bon accord. Augustin Fayet, boulanger de 32 ans, demeurant à Gariaux commune de Pleurtuit, dépose  que le 2 juillet dernier, revenant du marché de Ploubalay, il entra au cabaret des Lions vers 4 heures de l'après-midi et y demanda une chopine de cidre. Esnoux et Lagneau y étaient,  buvant ensemble. Esnoux lui présenta un verre de cidre qu'il accepta et lui, déposant, paya également un pot qu'ils burent ensemble. Avant la dernière pinte finie, Lagneau lui chercha dispute au sujet d'un brevet de pension que le dit Lagneau lui avait déposé et qui appartenait à Michelle Tibeuf, épouse Chaignon, pour la sûreté de paiement du pain qu'il lui fournissait. Ne voulant pas de son crédit et à cause des propos qu’il tenait au sujet de ce brevet, il ne voulut plus boire davantage avec eux. Lagneau et Esnoux burent encore ensemble. Il s'éleva entre eux une conversation pour le paiement de ce qu'ils avaient bu, Esnoux voulait que Lagneau paie une autre bouteille, ce que Lagneau refusa. Esnoux lui dit de s'en aller et déposa 6 francs pour parier avec Lagneau qu'il allait le mettre à la porte. A cet instant Esnoux voulut  "colleter " Lagneau à cause des propos qu’il tenait au sujet de ce brevet, mais le déposant se mit entre eux et les départagea puis il sortit. Lagneau et Esnoux le suivirent et il les entendit se disputer derrière lui dans le grand chemin, entendant les bâtons "cotir " l’un sur l’autre. Il s’en retourna chez lui et environ 1/4 d'heure après être rendu chez lui, Esnoux vint lui demander un pain. Il avait une blessure considérable à la tête et une plaie qui saignait beaucoup. Il déclare n’avoir aucune autre connaissance de la dispute qui eut lieu entre eux, que par ouï-dire. Conclusion du tribunal de 1ère instance Saint Malo le 28 septembre 1821   Ce tribunal va conclure notamment : «Tout annonce que le dit Esnoux aura frappé le premier dans le chemin vicinal, quoiqu' aucun témoin n'en dépose. Il ne restait à Lagneau visité le vingtième jour de la dispute, qu'une légère difficulté de mouvoir le bras droit, de sorte qu'il n'est pas prouvé que les blessures qu'essuya Lagneau aient été qualifiées mais trois témoins déposent de l'emport par Esnoux du sac et du bâton de Lagneau et deux disent qu'il se saisit de son chapeau. » … et pour finir : « Ordonne de plus qu'en exécution de l'article 134 du même code d'instruction François Sophie Julien Esnoux, sans profession, demeurant à Saint Briac âgé de 39 ans, 1 mètre 625 millimètres, visage maigre, front découvert, yeux bruns, ayant une taie sur l'œil gauche, nez long et pointu, bouche moyenne, menton rond, cheveux et sourcils châtains, sera pris au corps et conduit dans la maison de justice qui sera désignée par la Cour Royale de Rennes. » Le procès Le 21 novembre 1821 L’avocat général va présenter la liste des 7 témoins à entendre :      1° Jacques Lagneau, âgé de 66 ans, tisserand demeurant à Saint Briac François Lefevre, âgé de 17 ans domestique demeurant à Saint Briac Gilles Lamiré, âgé de 31 ans, laboureur, demeurant à Pleurtuit Louis Lamiré, âgé de 19 ans, laboureur, demeurant à Pleurtuit Etienne Roullier, âgé de 62 ans, laboureur, demeurant à Saint Briac Pierre Laine, âgé de 26 ans, laboureur, demeurant à Saint Briac Jean Rebuffet, âgé de 40 ans, laboureur, domicilié à Pleurtuit Il donne ensuite lecture d’un certificat attestant de l’état de faiblesse extrême du maire Joseph Joulain qui est donc rayé des témoins. Ensuite, Monsieur le Président, en vertu de son pouvoir discrétionnaire qui lui accorde l'article 269 du code d'instruction criminelle, ordonne que le sieur Bernard de la commune de Saint Briac, présent à cette audience, soit entendu dans sa déclaration orale, par forme de renseignements, vu que son témoignage n'a pu être reporté à l'accusé Esnoux. Le Président avertit les jurés que le témoin, Julien Besnard, 58 ans, maire de Saint Briac, ne va point prêter serment. L’avocat général demande à ce que l’accusé soit déclaré coupable de vol. Le conseil de l’accusé demande à ce qu’il soit déclaré non coupable.  Après avoir résumé l’affaire, le Président, conformément au vœu de l'article 336 du code d'instruction criminelle, va poser les questions suivantes : 1er : François Sophie Julien Esnoux  accusé est-il coupable d'avoir commis un vol ? 2ème : Ce vol a t'il été commis dans un chemin public ? Le chef du Jury répondra : Sur la 1ère question : oui Sur la 2ème question : non La Cour en application des articles 401, 414 du code pénal et 368 du code d’instruction criminelle,  condamne l’ accusé Esnoux à 5 années d'emprisonnement, à rester pendant 10 ans, après l'expiration de sa peine sous la surveillance de la haute police de l'état et à fournir un cautionnement de bonne conduite fixé à 50 francs, s'il veut être libéré de cette peine. François Sophie va se pourvoir en cassation. Extrait des minutes de la cour de cassation le 20 décembre 1821 à Paris   Ses conclusions :  « Attendu que, par l'arrêt de la cour d'assises séantes à Rennes du 21 novembre dernier, le demandeur a été condamné correctionnellement à la peine de 5 années de prison et qu'il n'a pas joint à son pourvoi une quittance de consignation d'amende, ni les autres pièces qui peuvent y suppléer, conformément aux articles 419 et 420 du code d'instruction criminelle, la Cour déclare François Sophie Julien Esnoux non recevable dans son pourvoi et le condamne en l'amende de 150 francs envers le trésor royal. » On enfonce encore un peu plus François Sophie, comment va-t-il pouvoir payer cette amende ? Mes conclusions sur cette affaire : François Sophie devait déranger dans la commune et tout a été fait pour s’en débarrasser. Jacques Lagneau, pas sûr qu’il porte bien son nom, avait largement sa part de responsabilité, tout d’abord en buvant plus que de raison avec François Sophie et ensuite en rendant largement les coups reçus, Augustin Fayet déclarant avoir revu dans sa boulangerie  François Esnou avec « une blessure considérable à la tête et une plaie qui saignait beaucoup. ». Les blessures de Lagneau n’étaient pas très graves puisque le chirurgien, Mr Cabaret, un nom qui sonne bien, dira le 22 juillet, soit 18 jours après les faits : « de ces divers accidents il ne reste au dit Lagneau qu'une légère difficulté de mouvoir le bras droit et qu'on pourra dissiper en 8 jours par un traitement convenable et régulièrement suivi.» Dommage également que l’on n’ait pas le témoignage de sa femme Perrine Danican qui aurait pu nous éclairer un peu plus. Précisions : (1) Cadis définition : tissu en laine ressemblant à de la flanelle ou étoffe croisée souvent en laine à bas prix (dictionnaire internaute) (2)  Extrait des sites internet : http://nicocaro41.perso.sfr.fr/1804.html et                               http://a-delarose.pagesperso-orange.fr/cgcan11organisation.html (3) Jacques Lagneau décèdera le 17 avril 1839, 84 ans, au village de la Houlette. Il survivra 18 ans à l’agression de François Sophie Esnoux. (4) Le maire Joseph Hervé Joulain né le 11 juillet 1746 à Saint Briac, fils de Jacques Joulain et de Marie Lossieux, va décéder à St Briac le 27 février 1827 à l’âge de 80 ans. (5) 1 pied=30,48cms doc 5 pieds= 30,48*5= 152,4 - 1 pouce =2,54cms donc 2 pouces= 5,08 François Esnoux mesurait donc 152,40+5,08= 158cms (6) Sorte de jeu de hasard prohibé, qui se joue avec un tableau partagé en 70 cases numérotées et des billets correspondant à ces numéros. (7) Cédule : Cédule de citation, acte par lequel un juge de paix permet d’abréger les délais dans les cas urgents. (8) Se disait pour la quatrième partie d'un boisseau. Acheter un quart de blé. boisseau de blé : Ancienne mesure de capacité pour les matières sèches, valant 13 litres, 01, ou 13 litres plus un centième réduits à 12 litres 50, c'est-à-dire au demi-quart de l'hectolitre, lorsqu'on voulut ramener les anciennes mesures aux mesures métriques. Vendre, mesurer au boisseau. (dictionnaire de français Littré) (9) moque : Le cidre est consommé dans un verre, ou une moque en terre vernissée habituellement cylindrique... — (Delahaye Thierry, Vin Pascal, Le pommier, 95 p., page 62, 1997, Actes Sud, Le nom de l’arbre) (10) Augustin Joseph Fayet  né le 4 janvier 1789 à Pleurtuit marin décède le 26 août 1831 à Pleurtuit âgé de 42 ans fils de Jean Fayet et de Marie Danican époux de Perrine Choupeaux marié le 13 octobre 1813 à Saint Briac. (11) Cotir en gallo signifie : claquer, faire claquer (dictionnaire gallo de Roger et Fred) (12) Définition billon : Le billon est un alliage d'argent et de cuivre, contenant souvent environ 50 % de cuivre, une teneur variable en argent, et auquel est ajouté environ 5 % de plomb. Cet alliage servit à la frappe de pièces dévaluées ayant le même cours que les vraies monnaies en argent, notamment dans le système monétaire romain dans l'Antiquité et également en France sous l’Ancien régime. Contrairement à la monnaie d’or et d’argent, il s’agissait de petite monnaie circulant entre les mains du plus grand nombre et dont la valeur numéraire n’atteignait pas la valeur faciale. On distinguait le bon billon ou billon blanc contenant environ 50 % d’argent et conservant une couleur blanche malgré une proportion minoritaire d'argent (probablement grâce à l'ajout de plomb) du bas billon ou billon noir qui lui ne contenait pas plus de 25 % d’argent.